La "Panic room" du parent de CP !
Fierté et larmichette, l’enfant entre au CP !
Sa trousse sent le neuf, son cartable paraît immense et son sourire est troué, ça y est, l’enfant est prêt à apprendre à LIRE !
Mais, parent, il va falloir que tu apprennes deux ou trois petites choses pour traverser cette année pleine de (re)découvertes :
- Sache qu’entre le 2 et le 4 septembre, l’enfant aura déjà utilisé un tube de colle, son crayon de papier se sera réduit à peau de chagrin et sa gomme/règle/paire de ciseaux sera/seront (rayer les mentions inutiles) perdue(s). C’est normal.
- Sache aussi que le 5 septembre, l’enfant sera triste : il est à la grande école depuis quatre jours et il ne sait toujours pas lire, bon sang, on lui aurait menti ?
(Sache parfois que certains petits malins se disent que si si, ils savent, et te récitent les trois phrases de « Bidule et Machinette entrent au CP » apprises par coeur… Vas-y, bouge un peu les mots dans la phrase, tu auras des surprises).
C’est normal.
- Sache, surtout, qu’apprendre à lire prend du TEMPS. Parce que lire ce n’est pas seulement déchiffrer, c’est aussi comprendre ce qu’on lit. Mais pour comprendre ce qu’on lit, il faut avoir automatisé le déchiffrage, tu vois le truc !
Au début de l'apprentissage, le cerveau est tout accaparé par l’effort de se souvenir quelles lettres font quels bruits, quelles lettres sont muettes, et autres joyeusetés, et pas du tout sur la compréhension de la phrase.
C’est un peu comme apprendre à faire du vélo ou apprendre à conduire : au départ, on se demande comment font les autres pour chanter faux, discuter ou faire la liste de course en même temps, les fous, ont-ils des capacités surhumaines ? Non ! Ils ont juste automatisé.
C’est pareil pour la lecture. Et cela met bien jusqu’à la fin du CE2 pour se mettre en place.
Il va donc y avoir un moment où l’enfant, ô joie, déchiffre toutes les syllabes d’un mot voire d’une petite phrase… Mais ne comprend rien, ou si peu.
C’est normal.
- Sache que cette automatisation est très complexe parce que nous ne sommes pas faits pour lire, dans le moule de base.
En effet, si notre cerveau, à la naissance, a déjà des aires spécifiques prêtes pour le langage ou la marche, rien de tel pour la lecture. Les neurosciences ont montré il y a déjà quelques temps que la lecture s’installait dans l’aire de la reconnaissance des visages et des objets, elle la modifie, la transforme, pour avoir la place nécessaire à cette automatisation de la lecture.
Je sais, c’est un peu dingue et vraiment chouette, mais tu comprends bien le problème, ce n’est pas une évidence.
- Sache que ton enfant va confondre les p / d/ b/q et les u/n et autres [f]/[v] et [k] /[g] :
c’est normal !
C’est une étape très très répandue et tout à fait normale de cet apprentissage, rappelle-toi, on est toujours dans l’aire de la reconnaissance des visages et des objets… de la symétrie, donc ! Alors pas de panique !!
(On ne s’inquiète de ces confusions que si elles sont persistantes, quasi-systématiques, que l’enfant est incapable de se corriger sans lourds efforts et si elles ne disparaissent pas avec le temps courant CE1, dans ce cas oui, on en parle avec l’enseignant, on consulte l'orthophoniste, on avise. Mais en décembre de l’année de CP, surtout, on respire !)
- sache que la langue française adore follement les trucs pas tellement logiques : les lettres muettes sont légion, les exceptions aussi. Quant aux sons ou lettres «simples » …..ah ah ah ah ah ah ah ah ah !!!
regarde :
- on dit « Lucie » mais « Lucas »
- On dit « gorille » mais « génial »
- on dit « carrelage » mais « perle »
- on dit « pelle » mais « fille »
- on dit « partie » mais « partition »
sans oublier les sons complexes de 3 lettres, les règles grammaticales qui changent la donne (« ils chantent et sont contents »… mais enfin!!), les multiples manières de faire le même son ou la même lettre qui peut faire des sons différents… Bref, l’enfant va bien dormir parce que franchement, apprendre à lire lui demande une sacrée somme d’efforts (alors, félicite-le, ça rassure et ça met en réussite).
- Sache qu’on peut aider l’enfant dans cet apprentissage : sur les manuels d’école, et sur les romans premières lectures (genre ceux-là, par exemple), tu trouveras souvent des lettres grisées pour les lettres muettes, des petites « vagues » pour séparer les syllabes sur les longs mots, voire des syllabes de couleurs différentes. Ça allège la charge cognitive.
- Sache enfin que l’enfant (et le parent, d’ailleurs) va passer par des périodes d’euphorie merveilleuse où il lira tout, absolument tout, du tube de dentifrice à tes comptes-rendus qui traînent (« papaaaaa ça veut dire quoi co-lo-sco-pie ? ») réclamera des livres, souvent les mêmes (ah le plaisir de la répétition et de ce qu’on sait déjà lire… ne jamais s’en priver), jouera au maître et à la maîtresse avec ses doudous (ou toi, gros chanceux). Dans ces moments réjouis-toi avec lui, nourris-le de mots, de livres, partagez la lecture (« tu lis une phrase, moi le reste de la page"), fais semblant de te tromper (l’enfant est démoniaque et adore te corriger, tu le sais bien).
Ces phases sont normales.
- Sache aussi que l’enfant (et le parent, d’ailleurs) va passer par des périodes de ras le bol où il fera preuve de multiples stratégies d’évitement pour ne pas lire, ne pas faire ses devoirs et sera certainement d’une mauvaise foi sans limite (« mais siiiii je l’ai dit le « avec », t’as pas entendu » et le fréquent « la maîtresse elle n’a pas dit de mettre le cahier ». Dans ces phases, n’en veux pas des masses à Madame Trucmuche, qui aura toujours bon dos.)
C’est normal.
N’insiste pas trop, et dévoile tes meilleurs talents d'acteur ou d'actrice en attisant sa curiosité : lis devant l’enfant d’un air intéressé, ris un bon coup… (« Pourquoi tu ris, tu lis quoiiiiiiiiii ?? ») et continue surtout à lui lire des histoires, comme ça, gratos, sans rien lui demander en retour. Ça travaille dur, là dedans.
C’est normal.
Allez, bon courage, parent, t'en fais pas, ça va bien se passer !!